Installé à Paris, Jerry Mulligan, peintre américain, peine à vivre de son art. En voyant ses toiles exposées dans la rue, une milliardaire tombe amoureuse de lui et décide d’être son mécène..
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une totale réussite, mémorable et merveilleuse
L’intrigue d’Un Américain à Paris tiendrait sur un confetti. Son scénario est bourré de tous les lieux communs possibles et imaginables sur Paris et la vie de bohème. Mais on s’en contrefiche. Dès les premières images, la machine à rêve hollywoodienne fonctionne à fond la caisse. Il faut dire que pour ce film, la MGM, alors leader de la comédie musicale sous la houlette du producteur Arthur Freed, a su réunir les plus grands talents. Loin de s’annihiler (on en a vu des dream team sur le papier accoucher de piètres films), ils se complètent et se dopent mutuellement à tel point qu’on se demande qui est la star du show.
Commençons par l’ossature sur quoi tout repose, la musique géniale de Gershwin, une succession de pépites, écrites plus de vingt ans auparavant (dont le fameux Concerto en fa), aussi jazzy que classique, l’archétype de la musique américaine, avec des airs qui font partie du patrimoine universel (S’wonderful, Embraceable you, Stairway to paradise, I got rhythm). Si le script est pauvre et convenu, les dialogues sont d’une grande finesse et souvent très drôles. Les comédiens sont à la fête avec des seconds rôles formidables et une débutante de dix-neuf ans, venue remplacer presque au pied levé une Cyd Charisse enceinte. Leslie Caron, gauche et craquante, parfaite en Lise un peu nunuche.
Et puis il y a la danse, d’une imagination, d’une exubérance et d’une poésie folles. Gene Kelly prouve ici qu’il est vraiment le plus grand danseur-acteur-chorégraphe de tous les temps. Il emplit l’espace, son charisme crève l’écran. C’est un bonheur pour les yeux de le voir virevolter et composer des figures d’une complication diabolique avec un naturel confondant, une joie de vivre communicative, le rythme dans la peau, à se demander s’il n’est pas né avec des claquettes aux pieds.
Mais tout ça, me direz-vous, ne fait pas un grand film. Très juste. Pour un grand film, il faut un maître d’œuvre hors norme, un grand metteur en scène. Il est présent, en la personne de Vincente Minnelli, artiste complet, as du placement de caméra, grand directeur d’acteurs, fou de la couleur. Il s’inspire ici des grands peintres français qu’il admire pour composer une suite de tableaux magnifiques où l’on reconnait Dufy (sur la place de la Concorde), le Douanier Rousseau (au Jardin des Plantes), Renoir (au marché aux fleurs), Van Gogh (à l’opéra), Toulouse-Lautrec (le french-cancan). Il déploie leurs palettes en technicolor, dans un arc-en-ciel éblouissant, une fête pour les yeux qui culmine dans le final, un ballet d’une virtuosité inouïe (cinématographiquement et chorégraphiquement parlant), morceau de bravoure de dix-sept minutes où le spectateur se trouve littéralement à l’intérieur de la danse. Une apothéose qui a valu à Un Américain à Parisune avalanche d’Oscars dont celui du meilleur film.
Et Paris dans tout ça ? Tenez-vous bien, seuls deux plans généraux y ont été tournés. Tout le reste n’est que décors reconstitués en studio. Un parti pris qui rehausse le côté onirique d’un film d’une élégance suprême. Une totale réussite, mémorable et merveilleuse.