Grand raconteur d’histoires, Yannick Jaulin sonde ici les récits fondateurs. « Quel est-il ce récit des origines ? Est-il enfoui dans les religions, dans les mythologies, dans l’histoire avec sa grande hache, dans les légendes familiales ? Que faire de cet héritage, de ces grands récits qui ont fabriqué notre civilisation, à nous humains dont le besoin de croyance est immense ? » Avec beaucoup de drôlerie, l’artiste nous amène à philosopher sur le thème brûlant des différences entre les religions.
A l’origine du spectacle
“Un homme regarde avec le public le tableau accroché en fond de scène ! Dessus deux personnages, l’un agenouillé avec des ailes, l’autre assis. L’homme de dos se retourne et dit : « Ce n’est pas parce qu’on regarde tous la même chose, qu’on se raconte la même histoire. » Tout est parti de là, de ce moment-là, devant un tableau de l’Annonciation. De l’ennui ou l’interrogation de celle qui à mes côtés n’avait aucune idée de la signification de cette scène.
– C’est quoi ces deux madames dont une qu’a des ailes ?
– L’Annonciation, tu vois ? Un ange qu’annonce à cette femme qui s’appelle Marie, tu vas avoir un enfant sans connaître d’homme. Tu vois, un genre d’insémination par les voies aériennes.”
Que faire de cet héritage, de ces grands récits qui ont fabriqué notre civilisation ?
“J’aimerais pouvoir dire avec Jeanne Benameur « le sacré, la forme juste de mon doute » et faire de ce spectacle, une histoire fondamentale, indispensable. J’aimerais, mais je ne suis sûr de rien. Juste que notre besoin de croyance est inhérent à notre condition d’humains. Les grecs savaient que nous sommes les inventeurs du récit de cette croyance Les religions monothéistes brandissent la révélation. Et nous vivons dans un monde de crédulité sidérant. Nous sommes tous nés d’un récit. Nous le portons avec fierté, peine ou étonnement. Il nous tient debout. Nous le savons à peine. Je regarde cette pelote dense, complexe, la prends dans ma main. Je tiens les fils et les regarde perplexe. Je vais tirer les fils les uns après les autres en espérant remonter à la source, à l’origine des histoires. Comme vouloir vider la mer avec une cuiller.
Nietzsche stupéfait se demandait : “Comment avons-nous fait ? Comment avons-nous fait pour vider la mer ?” Vider la mer de tous ces grands récits collectifs dont nous sommes les héritiers. Ces récits sont comme des enveloppes d’une matière à la fois ténue et épaisse. Ils partent des profondeurs alors forcément mouvantes comme le sont toutes les formes mythologiques, comme le sont toutes les formes religieuses qui même quand elles sont révélées réapparaissent devant les yeux de chaque génération à la lueur de nouvelles interprétations. Ils partent de notre mémoire récente quand elles racontent la nation, la fabrication des récits mythologiques destinés à faire un peuple patriote, les Michelet, les Lavisse et ce xixe grand pourvoyeur de fausses vérités et de grands récits. Ils partent de nos mémoires familiales. Celles qui se nichent en passagers clandestins dans nos vies, ouvrent et claquent des portes incompréhensibles sur ce que nous appelons par facilité, notre chemin.”
Yannick Jaulin